Comment faire l’analyse cytobactériologique et biochimique du liquide d’ascite

Temps de lecture: 9 minutes

Nous allons aujourd’hui parler de l’examen cytobactériologique du liquide péritonéal. Plus précisément du liquide d’ascite. Comme nous le verrons plus loin, tout épanchement péritonéal n’est pas un liquide d’ascite. Après avoir exploré les causes possibles de ce type d’ épanchement, nous allons voir l’ intérêt biologique de l’examen. C’est-à dire ce que nous cherchons au laboratoire. Plus précisément par l’interprétation de nos observations en: macroscopie, microscopie dont la cytologie, et culture.  Nous suivrons un schéma légèrement différent de celui de l’article sur l’examen cytobactériologique du liquide pleural. A lire ici. 

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Sommaire

Algorithme général de l’analyse

L’algorithme ci-dessous obéit au même schéma que pour les autres liquides de ponction. Seuls quelques détails ont été modifiés pour s’adapter au liquide d’ascite en particulier. 

Le liquide péritonéal est contenu entre les deux feuillets de la membrane péritonéale. C’est une membrane qui entoure les viscères abdominaux. Ce liquide est déversé puis retiré de la cavité chaque jour. 

L’ascite est définie par la présence d’un liquide non hémorragique dans la cavité péritonéale. L’on exclut les épanchements sanglant, biliaire, et de kystes hydatiques rompus [2]. (Respectivement désignés par  hémopéritoines, biliopéritoines et hydatidopéritoines) [1]. L’on parle ici d’ hydropéritoine [3]

Le liquide d’ascite peut être décelé par imagerie. Et l’examen cytobactériologique , ainsi que plus ou moins, atomocytopathologique a toute sa place pour  la recherche de la cause de l’épanchement, mais il y a souvent de nombreux faux-négatifs. Le clinicien pourra demander de répéter l’analyse. Pour un 1er prélèvement, l’on devrait faire le dosage biochimique et l’analyse cytobactériologique. Le clinicien peut ensuite demander de  répéter l’analyse cytobactériologique uniquement  sauf motivation particulière. 

Intérêt biologique de l’analyse  

Généralement, l’analyse est biochimique, cytologique et bactériologique. Sur demande motivée, une analyse anatomo-cytopathologique peut être faite.

Il faut souligner que l’ascite est un hydropéritoine. Le liquide est censé ne pas être sanglant, bilieux, ou encore hydatique. C’est pourquoi, l’on doit faire des frottis colorés au Gram et au Ziehl-Neelsen, si le liquide est d’aspect trouble, ou encore après une numération de leucocytes > 250/mm3 [3]

Germes à rechercher

Généralement, l’infection du liquide d’ascite est monomicrobienne.  

Nous pouvons retrouver Mycobacterium tuberculosis, ainsi que les levures du genre Candida.

Les Gram positif que l’on peut trouver sont: 

  •  Staphylococcus aureus 
  • Streptococcus pneumoniae, Streptococcus pyogenes, Streptococcus agalactiae
  • Enterococcus spp.
  • Streptocoque viridans
  • Clostridium perfringens

Les  Haemophilus influenzae, et entérobactéries peuvent aussi être trouvées (Gram négatif). 

Une flore polymorphe anaérobie peut être observée. Nous aurons ainsi: Veillonella, Prevotella, Peptostreptococcus, Bacteroides, Fusobacterium, Actinomycetes [4].

NB: Bien remplir la demande d’examen aidera le laboratoire à mener correctement les investigations. Il est capital pour la validation biologique que les renseignements cliniques soient complets. 

Intérêt de la cytologie

La numération et la formule leucocytaire permettent d’ orienter le laboratoire sur l’ étiologie. Comme nous avons vu plus haut, ces éléments sont à interpréter, mis avec les analyses biochimiques [3].

La numération se fait avec une cellule de comptage. Et la formule leucocytaire à partir d’un frottis coloré au May-Grunwald Giemsa [4].

Prélèvement du liquide d’ascite

Il doit être fait par un personnel de santé habilité. La ponction est réalisée à la seringue, à travers l’abdomen, sans anesthésie locale. Il n’ y a pas de contre-indications à la ponction [3].

 Ensuite, le préleveur peut déposer  9 ml de  liquide dans 2 tubes stériles  au citrate de Sodium, et bien homogénéiser. Et  2 à 3 ml mis dans un  tube  sec stérile. Ce dernier doit être observé pour la coagulation . Ce sont le plus souvent les exsudats qui coagulent. 

 L’ un  des tubes citratés peut être utilisé pour la cytologie, la numération cellulaire, la biochimie,  et la microscopie. Et le 2ème pour la culture. 

 

Macroscopie de l’échantillon 

Après réception, contrôle qualité et enregistrement, l’ échantillon doit être observé macroscopiquement. L’ interprétation des observations peut déjà donner une idée de l’ étiologie. Nous pouvons observer:

  • Le liquide d’ascite normal est d’aspect citrin: jaune, clair et limpide
  • Les ascites d’aspect trouble évoquent une tuberculose ou une septicémie.
  • Les liquides chyleux sont rencontrés essentiellement dans les cancers digestifs.
  • L’aspect hémorragique ou chyleux peut être rencontré dans les ascites tumorales [3].

Le liquide d’ascite peut être rendu sanglant par la traversée accidentelle d’un vaisseau sanguin de la paroi lors de la ponction. Pour être certain que ce n’est pas un hémopéritoine, l’on peut faire une autre ponction. Si cette fois, le liquide est clair, alors nous avons notre explication.  L’on peut aussi vérifier que ce n’est pas un hémopéritoine en mesurant l’hématocrite:  < 1 %, elle permet d’écarter le diagnostic d’hémopéritoine [5].

Microscopie du liquide d’ascite

 En microscopie, l’on va chercher à observer les cellules et les microorganismes. Il faut faire une numération des leucocytes à la cellule de comptage, par exemple Nageotte. Et faire la formule leucocytaire à partir d’ un frottis coloré au May-Grunwald Giemsa.

Pour les microorganismes, il est utile de centrifuger l’un des 2 tubes citratés. Celui non réservé à la culture et étaler le culot de centrifugation pour des frottis colorés au Gram et au Ziehl-Neelsen respectivement pour les bactéries en général, et la recherche de BAAR (Bacilles acido-alcoolo Résistants). 

Sur demande, au laboratoire d’ anatomo-cytopathologie, des frottis colorés au Papanicolaou peuvent rechercher les cellules tumorales. Il sera donc utile de les fixer 20 mn à l’ éthanol à 95° puis de les y envoyer. 

Analyse biochimique 

 Le dosage des protéines totales  permet généralement de distinguer :

  •  les transsudats (épanchements d’origine mécanique) et 
  •  les exsudats (épanchement d’origine inflammatoire, tumoral, etc..) 

Il faut également faire le dosage  de la lipase et des triglycérides

L’on doit aussi faire le dosage de la lipasémie et des triglycéridémie ( c’est à dire à partir du sang) pour en comparer le taux avec le liquide d’ascite. 

Le gradient d’albumine ( différence entre la concentration d’albumine de l’ascite et celle du plasma) peut être demandé. Il  permet une estimation indirecte de la pression portale. 

Analyse bactériologique 

L’infection spontanée du liquide d’ascite est généralement due à une seule espèce bactérienne. Lorsque l’on retrouve plusieurs espèces bactériennes,  il faut penser à une perforation du tube digestif et chercher un pneumopéritoine. L’infection du liquide d’ascite  est une complication potentiellement mortelle. 

Les milieux habituels, sélectifs pour les bactéries citées plus haut peuvent être ensemencés: 

  • Chocolat polyvitex, 
  • Gélose au sang frais
  • Chapman: pour les staphylocoques  
  •  Mac Conkey
  • Sabouraud + Chloramphénicol

Les milieux au sang cuit (chocolat)  et frais peuvent être incubés dans une jarre avec une bougie. Ce sera donc une atmosphère enrichie en CO2. 

Les autres milieux peuvent être incubés en aérobiose. 

Tous les milieux doivent être incubés à 35-37°  Celsius pendant 24 à 72H avec observation  toutes les 24H et ré-incubation si culture négative.  

La suite de l’examen se déroule normalement: identification, antibiogramme, et antifongigramme

La culture de bactéries anaérobies présente des exigences qu’un laboratoire de routine ne peut parfois atteindre. Il sera donc utile lors du prélèvement d’ensemencer un bouillon de thioglycolate à envoyer à un laboratoire plus spécialisé. C’est aussi ce pourquoi le clinicien doit bien renseigner la demande d’examen.

Possibles causes: interprétation des résultats

De la macroscopie à l’interprétation du résultat, la démarche doit être cohérente. Et la conclusion du biologiste découle naturellement de toutes ces étapes. 

Sur le plan de la Biologie, trois situations peuvent  expliquer les observations faites à propos d’un liquide péritonéal. Ces situations sont dues essentiellement au mécanisme de formation du liquide d’ascite et nous renseignent sur la cause de cette formation. Ce sont:  

  • la rupture intrapéritonéale d’un conduit liquidien: dans ce cas l’afflux est supérieur à la capacité de résorption 
  • une gêne à la résorption du liquide par obstruction des canaux lymphatiques
  • un excès de production du liquide péritonéal. 

En cas de rupture d’un conduit

Nous pouvons observer les changements suivants dans la composition: 

Élément rompuComposition 
canal lymphatique mésentériqueascite chyleuse, riche en triglycérides
canal lymphatique hépatiqueriches en protides >30 g/l mais non en Triglycérides
canal excréteur pancréasriche en lipase, enzyme pancréatique
uretèreplus riche en créatinine que le plasma

En cas de problème de résorption

Cause Observations du liquide 
tumeur maligne du péritoine,riche en protéines (> 25 g/L). GB souvent > 250/mm3 ). cellules tumorales inconstantes
tuberculose +/- fréquemment riche en protéines (> 25 g/L) et en leucocytes (> 1 000/mm3 ). Lymphocytes (> 70 %). Souvent BAAR négatif. 

En cas d’excès de production du liquide péritonéal

Ce mécanisme est généralement en cause dans les cas suivants: 

CirconstanceObservations
Syndrome de Budd-Chari (obstruction veines hépatiques)riche en protéines (> 25 g/L) et pauvre en leucocytes
Cirrhosepauvre en leucocytes et en protéines (< 25 g/L)
liquide infecté en cas de cirrhoseNeutrophiles >250/mm3, +- culture positive à  Bacilles Gram négatif
insuffisance cardiaqueriche en protéines (> 25 g/L) et pauvre en leucocytes
syndrome néphrotiquepauvre en leucocytes et en protéines (< 25 g/L) 

 

Bibliographie

1.Carrier P. et al. (2014). L’ascite non liée à la cirrhose : physiopathologie, diagnostic et étiologiesNon-cirrhotic ascites: Pathophysiology, diagnosis and etiology. La Revue de Médecine Interne Volume 35, Issue 6, June 2014, Pages 365-371. Repéré sur https://doi.org/10.1016/j.revmed.2013.12.001

2. Rouiessi Y. (2008). Hydatidose péritonéale. Thèse de doctorat en médecine. Repéré sur http://wd.fmpm.uca.ma/biblio/theses/annee-htm/FT/2008/these31-08.pdf

3. Dieusaert P. (2015). Guide Pratique des Analyses Médicales. Editions Maloine.

4.Cheesbrough M.(2010). District Laboratory Practice in Tropical Countries. Part 2. 2nd edition. Cambridge University Press

5. Université Virtuelle Medicale Francophone.(2008-2009). Item 298.Ascite. Repéré à http://campus.cerimes.fr/hepato-gastro-enterologie/enseignement/item298/site/html/cours.pdf

Avertissement: La procédure ci-dessus décrite est un exemple. Pour la rendre applicable dans votre laboratoire, elle doit être validée par votre directeur technique.

Les auteures:

-Rédigé par Renée A. LEYEBE, titulaire d’une Licence en Sciences de la Santé, option Analyses Médicales

-Validé par Petronile NGO ETOUNDE, titulaire d’un Master en Microbiologie et Immunologie.

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